Posté le 6 avril 2023.
Nous avons eu la chance de nous entretenir pendant près d'une heure et demie avec l'équipe responsable du développement du jeu de combat Sclash (d’ailleurs allez donc lire notre preview dans la catégorie La Ligne de Mire, ici). Nous avons taillé le bout de gras autour de plusieurs sujets: le développement indépendant, ses plaisirs et ses galères ou encore l'utilisation du moteur Unity.
Bonjour à tous les trois ! Qui se cache donc derrière le studio Bevel bakery et quels sont les rôles que vous avez occupés lors du développement de Sclash ?
Kaldrin : Je suis Bastien Bernand, j’ai fait comme mes deux camarades des études en game design à l’école E-artsup de Lyon que j’ai fini en 2020. J’ai un profil plutôt orienté art 2D et game design, complété par quelques notions en développement. Je suis un peu l’initiateur du projet Sclash, qui était à la base un projet de deuxième année qu’on se devait de proposer. Victor et Eloïse ont par la suite très vite rejoint le projet et on a continué ensemble en gardant en tête l’objectif de sortir un jeu fini.
Linagur : Je suis Eloïse Gur et j’ai aussi un profil game design, art et narrative. J’ai rejoint le projet comme l’a dit Bastien pendant nos études à E-artsup et j’ai ensuite continué mes études à Paris et au Canada pour peaufiner mes compétences principales. J’ai bossé sur Sclash en dehors des cours ou en dehors des autres boulots que j’ai eus ; j’ai travaillé en parallèle sur un autre projet qui s’appelle Tales Up, qui est un peu connu dans la sphère indé. Le jeu vient de gagner d’ailleurs le titre du Meilleur jeu mobile aux Pégases 2023 (ndlr: Cérémonie qui récompense les meilleurs jeux vidéo français). J’ai travaillé plutôt la partie narrative de Sclash tout en aidant Bastien sur l’aspect art.Ruyuik : Pour finir, je m’appelle Victor Callot et j’ai rejoint le projet en tant que développeur principal. Mon profil est principalement orienté sur le développement, vu que je sors d’une école de développement web et informatique. Je me suis orienté sur le jeu vidéo par la suite et pour l’instant j’ai simplement taffé sur Sclash. En parallèle je travaille à l’Enigmatic, un escape game situé à Lyon.
Sclash était donc à la base un projet d’études qu’il était nécessaire de valider dans votre parcours. Comment avez-vous donc formé cette équipe ?
Linagur : De notre côté il fallait choisir des projets sur lesquels se caler et le projet Sclash nous a semblé intéressant. Je sais plutôt bien dessiner, Victor a de bonnes compétences en code et Bastien fait un peu des deux. En partant de ce constat on s’est dit qu’en se mettant à trois on allait y arriver.
Ruyuik : Il faut savoir qu’on était un peu plus dans l’équipe avant, deux personnes de plus qui n’ont pas continué le projet avec nous.
Au final, avez-vous réussi à rendre une version jouable de Sclash à l’issue de cette deuxième année ?
Kaldrin : En fin de deuxième année et après les quatre mois de développement qui nous avaient été donnés pour développer le jeu, on avait un truc jouable mais qui n’avait rien à voir avec le jeu de maintenant. Il n’y avait qu’un seul personnage jouable et c’était moche mais en fin de troisième année, le jeu était déjà plus abouti. Sclash a été tout de même jouable assez rapidement même s’il n’avait pas sa forme finale.
L’idée était donc d’étoffer le projet par la suite afin de proposer une version jouable au grand public ?
Kaldrin : Oui je pense que mes camarades attesteront, mais l’idée était d’avoir l’expérience de sortir un jeu de A à Z. On avait le sentiment de faire uniquement des démos, des prototypes et des débuts de jeu en école. C’est normal d’un côté, puisque la création entière d’un jeu est un projet ambitieux. En fait on se demandait : « Mais putain c’est quoi en fait de faire un jeu en entier, fini, un truc qui marche ? » C’est pour ça qu’on a choisi un petit projet : jeu de combat, mécaniques simples, un coup = un mort, deux personnages etc. Même si au final, un jeu de combat est beaucoup plus ambitieux que ce qu’on pensait à la base et ça a pris beaucoup plus de temps au final.
Ruyuik : Ça nous a permis de compléter notre cursus et c’était vraiment pour nous le point final de l’école. On est vraiment partis du principe que le jeu devait être jouable à la fin de l’année et qu’on puisse limite le mettre sur Steam. Finalement c’est ce qu’on a fait, Sclash était disponible sur la plateforme pendant notre troisième année.
Quelles inspirations ont nourri le développement de Sclash ?
Kaldrin : Un des postulats de base du projet était que les jeux de combat étaient souvent compliqués à jouer. J’aime bien Street Fighter, mais les mécaniques de gameplay sont lourdes et complexes ; ou encore Soul Calibur où tu as littéralement 250 coups différents par personnage. Il y avait pour nous un marché pour des jeux de combats plus simples et accessibles dans leur approche. C’est la direction qu’on a prise et pour ça on s’est inspiré de jeux comme Super Smash Bros ou Nidhogg, un jeu d’escrime ou encore de Samurai Gunn. Un autre jeu moins connu nous a inspiré également est Slice Dice & Rice. De manière générale des jeux qui sont dans la veine des party game ou couch fighting game au gameplay simple. Par rapport aux inspirations esthétiques, le style graphique du jeu est un peu venu tout seul on n’est pas allés le chercher ; à force d’essayer des trucs on s’est dit « Ah ça ressemble à ça ? Si on assumait plutôt ce style-là ? » On est plutôt partis à la base de l’estampe traditionnelle japonaise, même si on s’en est beaucoup éloignés au final, je ne vais pas dire que le jeu y ressemble, ce n’est pas le cas. Okami a été aussi une bonne inspiration pour nous à ce niveau-là. De manière globale, les animés japonais ont été aussi à la base de la construction esthétique de Sclash : la tête des personnages, les cheveux et des éléments d’animation comme le vent ou les pétales de fleurs. Tout ce qui peut être lié à l’esthétique samurai, comme la série Samurai champloo ou des jeux comme Sekiro et Ghost of Tsushima. A partir de tout cela on a essayé de trouver notre patte originale à travers cette direction artistique très peinture et colorée.
Vous avez choisi le moteur Unity pour le développement de Sclash, quels sont pour vous les inconvénients et les avantages de ce moteur ?
Ruyuik : Ce n’est pas moi qui ai choisi le moteur dès le départ, mais c’est celui sur lequel on était tous le plus à l’aise principalement parce qu’on a commencé sur ce moteur dans notre formation. C’était un choix de confort puisque c’est un moteur qu’on connaît très bien et le désavantage c’est que paradoxalement, on ne le connaît pas assez bien à la sortie des études. On aurait pu partir avec Godot Engine ou Game Maker, mais on avait vraiment aucune expérience et comme il fallait sortir un jeu relativement vite notre choix s’est porté sur Unity. Le prototypage est très rapide avec ce moteur et c’est aussi un gros avantage.
Kaldrin : C’est quasiment le moteur le plus répandu aujourd’hui, tu as toutes les réponses à toutes tes questions sur les forums. Si t’as un problème, il y a déjà 1000 personnes qui ont déjà connu le même. Ça ne veut pas dire qu’il a été résolu mais au moins t’es pas tout seul !
Malgré cette facilité d’utilisation, quelles sont les difficultés inhérentes à Unity que vous avez pu rencontrer lors du développement ?
Ruyuik : Je ne dirais pas forcément que les difficultés que j’ai rencontrées étaient forcément liées au moteur. Il y a quand même eu un moment où on en a eu marre de Unity tu te souviens Bastien ? On s’est arraché la tête sur les assets bundle (ndlr : ensemble de fichiers d'actifs (assets) regroupés en un seul fichier compressé. Les actifs peuvent inclure des modèles 3D, des textures, des sons, des animations, des scripts, etc.) et au final on a abandonné le projet. Pour le reste, c’est des problèmes de développement qui sont les mêmes partout : l’I.A. qui reste un truc difficile à gérer, le mode en ligne sur lequel je bosse actuellement qui me fait des feintes etc.
Kaldrin : Si je peux citer des anecdotes propres au moteur lui-même, ce serait les limites imposées par Unity avant sa version 2020 sur la taille de tes assets. Si tu dépassais une certaine taille, il fallait séparer tout cela en différents assets, c’était vraiment le bordel ! On a eu beau chercher partout, le jeu ne marchait pas ; enfin il marchait mais il ne ressemblait à rien graphiquement. Le problème s’est réglé tout seul en mettant Unity à jour et on n’en a plus jamais parlé.
Ruyuik : Le problème d’Unity est aussi qu’ils ont tendance à faire des mises à jour qui rajoutent des contenus mais qui suppriment également des trucs qui étaient très utiles avant. Notamment, le mode en ligne, qui bénéficiait d’une interface native quand on a commencé le développement, mais qui a été retirée après la mise à jour. Le souci était également que les profs qui nous formaient utilisaient l’ancienne version du moteur, donc n’étaient vraiment d’aucune aide sur cet aspect-là. Ça a demandé plus de recherches de notre côté pour surmonter le problème.
Quels sont vos liens avec Just For Games et Abiding Bridge ? Ces deux sociétés vous donnent-elles des directives ou avez-vous des comptes à leur rendre ?
Kaldrin : C’est une question intéressante ; il faut savoir qu’on a une situation d’édition qui est plutôt compliquée. Dans la loi française et dans d’autres pays où la situation est similaire, à partir du moment où tu dois faire rentrer de l’argent, il faut que tu crées une entreprise. Ça implique beaucoup d’autres problématiques : gestion d’argent, plans financiers, plans sur l’avenir, recrutement, financements etc. Tu te retrouves plus dans la gestion pure, ce qui n’est pas mal en soi, mais ce n’est pas ce qu’on voulait. On voulait simplement faire Sclash, et après on passe à autre chose et on voit ce qu’on fait avec nos vies. C’est pourquoi on s’est tournés vers Abiding Bridge, qui est une maison d’édition de jeux vidéo qui vont nous reverser des revenus en tant qu’artistes-auteurs, un peu comme les groupes de musique. On s’est donc mis en partenariat avec eux pour pouvoir vendre le jeu, profiter de leur expertise ainsi que de leurs contacts et être épaulés pour notre projet. C’est grâce à eux qu’on a trouvé Just for Games, qui sont partenaires d’Abiding Bridge et qui vont nous permettre de sortir le jeu sur consoles, financent le marketing, la traduction et l’assurance qualité. On n’a pas eu l’impression d’avoir été bridés dans notre créativité ou de suivre des directives imposées une fois les partenariats installés. On a dû modifier deux trois trucs, notamment pour que le jeu dure plus longtemps ou qu’il y ait plus de rejouabilité par exemple. Les quelques modifications qu’ils nous ont amenées à faire rendent le jeu meilleur. En tant que trois juniors débutants, avoir l’assistance de ces coéditeurs nous donne l’impression d’aller quelque part et d’avoir un jeu bien fini à l’arrivée. C’est rassurant et nous met un coup de pied au cul pour finir le jeu !
Quelles ont été les parties du développement ou vous avez le plus galéré ?
Ruyuik : Comme on te l’a dit, on avait eu ce problème avec les assets bundle, qui vient du fait qu’Unity a posé cette limite de taille pour que ton jeu puisse sortir sur mobiles, sauf que nous on ne veut pas le sortir sur cette plateforme alors qu’on s’en fout ! Du coup ça crée des problèmes qui n’en sont pas vraiment. Un truc qui a été difficile également, c’est le système de rebind (ndlr : fonctionnalité qui permet aux joueurs de personnaliser les contrôles de jeu en changeant les touches ou les boutons associés à des actions spécifiques). Unity a changé à un moment leur système d’inputs, ce qui nous a demandé une reconfiguration de ce système et d’ajouter un module pour que le joueur puisse changer les touches pour contrôler le jeu. C’était un gros morceau, on ne va pas se mentir.
Linagur : La narration a été une galère aussi ; tu penses à une base au début et sur trois ans, certaines choses ne conviennent plus forcément. On se rend compte parfois qu’on n’a pas fait des choix compréhensibles pour les gens, et on se retrouve à un moment où on doit couper beaucoup de parties du jeu. Il faut tenter de réduire au maximum, de rendre le résultat toujours clair, intéressant et jouable. Ça devient rapidement difficile, on a essayé de faire avec les retours des joueurs mais les retours ne sont pas forcément unanimes, et les aspects qui ne vont pas se sont pas forcément pointés du doigt. On se retrouve à réécrire le scénario dix fois, enlever des noms, remettre des noms et à avancer sur des œufs pour réussir à avoir un résultat final à peu près satisfaisant. Sachant qu’on a touché à la mythologie japonaise mais avec le souhait de la refaire à notre sauce, ce parti pris n’est pas forcément compris. Des fois les gens pensent savoir des choses par rapport aux personnages, mais ce qu’ils connaissent vient en fait des animés, ce qui n’est pas un point de vue complet sur ce qui existe vraiment dans la culture japonaise. Aujourd’hui on a une version qui nous satisfait à peu près, mais ça a nécessité beaucoup de réécriture. Ce qui est important pour les joueurs, c’est de comprendre que généralement, 50% du contenu initialement prévu part à la poubelle et ils ne le verront jamais. Pour nous, c’est plutôt de l’ordre de 80%
Kaldrin : Sclash n’était pas un jeu narratif à la base, juste un jeu de combat. On a dû ensuite rajouter un mode solo, pour la durée de vie, pour faire découvrir les mécaniques aux joueurs et ça reste sympa pour découvrir l’histoire des personnages et s’y attacher. Eloïse avait construit un scénario super travaillé, avec une histoire par personnage mais on s’est rendus compte que c’était trop ambitieux. Donc on a fait le choix de garder une campagne solo, qu’on a dû aussi raccourcir. Vu que Sclash n’est pas vraiment un jeu narratif, les joueurs vont être plus cléments là-dessus ; c’est un jeu de combat et les jeux de combat sont connus pour avoir des scénarios de merde globalement. C’était un équilibre compliqué à trouver, mais je suis content de ce qu’on a réussi à faire.
A contrario, quels ont été les moments les plus plaisants lors du développement ?
Kaldrin : Franchement, quand tu as fait tous tes assets, tes animations, que tu mets ça dans une scène et que ça rend bien, c’est plutôt satisfaisant. J’ai aussi beaucoup aimé le moment où j’ai réussi à faire le post-processing qui donne son aspect « peinture » au jeu. Un autre truc qui m’a plu a été l’ajout récent du système de succès ; vu que le jeu ne sort pas que sur Steam (ndlr : qui propose son système interne de succès) mais aussi sur consoles, il nous fallait un système qui marche partout donc on s’est dit qu’on allait en faire un interne au jeu. Le processus s’est déroulé sans accrocs, je m’attendais à galérer mais en fait ça s’est très bien passé.
Linagur : Les moments très cools qui nous restent aussi c’est les conventions, là où on peut faire vraiment tester le jeu aux gens et de les voir s’éclater dessus, comprendre les mécaniques et commencer à adopter des débuts de stratégie de jeu. On les voit prendre le truc au sérieux et faire plusieurs parties. Pour nous c’est vraiment satisfaisant de voir qu’on leur explique les règles et de voir à quel point ils peuvent s’en emparer et aller en profondeur dans le gameplay.
Retrouvez la deuxième partie de l'interview par ici!
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