Posté le 21 février 2023.
Sorti en 2021, Road 96 est le projet de Yoan Fanise, créateur et fondateur du studio Digixart (Soldats inconnus, Memories Retold). Connu pour avoir travaillé chez Ubisoft sur des grosses productions telles que l’excellent Beyond Good and Evil ou Assassin’s Creed, celui-ci fonde son studio, Digixart à Montpellier en 2015. Après le franc succès de Soldats inconnus : Mémoires de la Grande Guerre en 2014, celui-ci décide de quitter Ubisoft pour travailler sur des projets en équipe plus restreinte. Lui-même se proclamant anti-hiérarchie, il estime que les gros effectifs brident la créativité des développeurs. Conçu en coédition avec Ravenscourt et Omen (Oui oui, la marque de PC de HP), le jeu Road 96 est un jeu narratif procédural orienté aventure. Acclamée par la critique, la création de Yoan Fanise a été récompensée par 5 prix lors de la cérémonie des Pégases 2022. Selon la page du magasin Steam, celui-ci s’inspire librement de Tarantino, des frères Coen et du réalisateur sud-coréen Bong Joon-Ho, rien que ça. Le jeu est-il donc à la hauteur de ces trois monstres du cinéma ?
L’aventure se déroule en 1996 dans une nation fictive nommée Petria. Quelques secondes de jeu vous suffiront pour comprendre que Petria n’est rien d’autre qu’une représentation dystopique des Etats-Unis. Le pays est sous le joug dictatorial du président Tyrak et son parti politique, arbore fièrement la couleur rouge. Nous savons tous que le rouge est la couleur des méchants n’est-ce pas ? A l’opposition, un parti est représenté par la candidate Torres, en bleu. Sans aucunes ambiguïtés, le jeu fait le choix d’une base scénaristique plutôt manichéenne, singeant avec peut-être trop de simplicité le bipartisme absolu que connaissent les Etats-Unis. On imaginera alors aisément le dictateur Tyrak avec une perruque jaune pisse en train de vociférer « Make Petria Great Again » mais rassurez-vous, ce ne sera jamais le cas. Les temps sont durs pour Petria ; en pleine période d’élections, de nombreux adolescents disparaissent sans raison apparente. Un groupe terroriste radical d’opposition, les Brigades Noires, responsables d’un grave attentat dix ans auparavant, continuent à faire parler d’eux en semant le trouble à travers le pays. Et nous dans tout ça ? Nous incarnerons différents adolescents fugueurs, désireux de se faire la malle en passant la frontière du pays pour échapper à l’affreuse dictature. En effet ici, il n’y aura pas de personnage principal à proprement parlé, mais il sera plutôt question de jouer la jeunesse de Petria personnifiée à travers plusieurs protagonistes, sans nom et sans visage. Le but du jeu est de passer la frontière nord du pays sain et sauf, par tous les moyens possibles : autostop, taxi, ou en marchant simplement.
Je trouve l’idée de base excellente, plutôt originale dans son approche (plus de détails dans la partie suivante) et globalement réussie. Cependant, la caricature servie ici est tout bonnement trop simpliste et dessert clairement le jeu. La diégèse est sommaire, sans aucunes nuances apportées au fil de l'histoire, ce qui mène le mimesis de l’œuvre dans son entièreté à l’être aussi. Cette représentation à moitié fantasmée des Etats Unis est très primaire ; cet aspect se retrouvera donc dans l’écriture des personnages, dans les dialogues et dans l’ambiance générale. Même si cette dernière est plutôt réussie, grâce à un aspect visuel chatoyant -bien que daté techniquement- l’immersion en prend un sacré coup. Sûrement est-ce un parti pris du studio, une volonté politique même de porter la caricature à son point d’orgue, mais la quasi-absence de second degré tout au long de l’histoire vient faire de l’ombre à ce choix. C’est regrettable, car le jeu est porté par une ambiance 90’s très réussie, aidé d’une bande son aux petits oignons entre folk, dance et electro (The Toxic Avenger, Cocoon, Daniel Gadd, Robert Parker) mais la sauce ne prend pas assez à mon goût. Les sept différents personnages que vous rencontrerez au fil de votre aventure ne dérogent pas à la règle. A une exception près (Jarod, le chauffeur de taxi), ceux-ci répondent parfaitement aux poncifs niais du cinéma américain bas de gamme : Zoé, la belle adolescente rousse et rebelle, John, le chauffeur poids-lourds bourru ou encore Alex, le jeune surdoué en informatique et en hacking. Bref, vous l’aurez compris, la description générale du monde de Petria n’est pas la plus fine qu’il soit, et représente bien la vision franco-française des USA dans sa globalité. Ce qui, dans un sens, pourrait être un gros avantage (Oui, les USA représentent parfaitement la décadence pure et simple) , mais Road 96 loupe clairement le coche à ce niveau-là tant sa fresque est grossièrement représentée. Les bases sont posées, soufflons un grand coup et attaquons-nous au cœur du sujet : le gameplay.
La génération procédurale d’aventures uniques à chaque partie a été la feature principale mise en avant par Digixart pendant la campagne de lancement du jeu. Pour un rappel simple de la définition de « procédural », je ferai donc appel à la page Wikipédia qui expliquera bien mieux que moi ce terme légèrement technique. « En informatique, la génération procédurale (ou modèle procédural) est la création de contenu numérique (niveau de jeu, modèles 3D, dessins 2D, animation, son, musique, histoire, dialogues) à une grande échelle (en grande quantité), de manière automatisée répondant à un ensemble de règles définies par des algorithmes. Le modèle procédural s’appuie sur les informations d'un algorithme pour créer. » Sur le papier, cela paraît absolument génial. Une aventure différente pour chaque joueur, des situations uniques et des sursauts scénaristiques qui n’ont pas été conçus à l’avance. Est-ce donc vraiment le cas ? Pas la peine de tenir le suspens plus longtemps, c’est non. Je qualifierai donc le jeu de semi-procédural, ce qui est un non-sens absolu, mais je n’ai pas vraiment le choix.
Comme vu dans la première partie de ce test, votre but sera de franchir la frontière afin de fuir le pays. Pour cela, vous aurez à traverser différentes scénettes au cours desquelles vous rencontrerez ces fameux personnages, jouerez à des mini-jeux plus ou moins intéressants (Jouer de la trompette avec votre souris, hacking de radio, simili-FPS etc.). Ceci à travers différents lieux plutôt banals : camping, motel miteux, ou festival de musique. Il sera possible au cours des situations rencontrées de faire des choix qui impacteront parfois la finalité de votre partie comme voir votre personnage mourir d’une balle dans le crâne (c’est rigolo), ou alors qui n’auront strictement aucun effet sur le déroulé de l’histoire. Vous aurez aussi quelques occasions d’afficher votre couleur politique : révolutionnaire (bouuuh le méchant Tyrak), progressiste (je vote toujours pour les gentils, donc Torres) ou encore abstentionniste (non mais tu vois, je suis contre le scrutin indirect, le collège électoral c’est de la merde) mais encore une fois ces choix sont amenés maladroitement. Le côté procédural du jeu repose donc exclusivement sur l’ordre d’apparition de cette petite douzaine de scénettes, ce qui n’encourage pas spécialement à relancer l’aventure une fois celle-ci terminée. Celles-ci resteront les mêmes, et il vous faudra donc compter sur le hasard pour espérer tomber sur une que vous n’aviez pas vécu dans votre partie d’avant. C’est clairement dommage, sachant que chaque run dure environ 8 heures, le concept s’essouffle vite alors que l’idée de base était clairement formidable. Le jeu propose une gestion très sommaire de la fatigue, représentée par une barre de vie qui se régénérera si vous dormez ou mangez, ainsi que de votre porte-monnaie, qui s’il est bien garni vous permettra de débloquer certaines situations. Vous pouvez ajouter à cela des compétences que vous découvrirez en rencontrant les personnages principaux de l’histoire : crochetage de serrure, hacking etc. qui elles aussi vous permettront d’évoluer différemment selon votre avancée dans l’histoire. Chacun des sept personnages que vous rencontrerez a une jauge de découverte qui va de 0 à 100 %, selon le nombre de scénettes que vous aurez passées avec eux ; sachant qu’une seule partie de 8 heures ne vous permettra clairement pas de remplir cette jauge, le jeu vous invite donc à lancer une « Nouvelle partie + » pour finir le boulot. Pour ma part, je me suis arrêté au milieu de ma deuxième partie, clairement lassé de revivre les mêmes scènes en boucle. Malgré cet aspect procédural en demi-teinte, le jeu propose tout de même trois fins différentes, ce qui n’est pas pour déplaire. Mais s’il faut se taper trois ou quatre parties pour les apprécier, je passe mon tour volontiers.
Malgré toutes ces déconvenues, j’ai pris tout de même plaisir à parcourir l’aventure proposée par Road 96. La direction artistique est une franche réussite et l’ambiance générale du jeu vous prend clairement aux tripes. Les personnages, malgré leur aspect caricatural, sont tout de même attachants et leur doublage est réussi. Un gros bémol est tout de même à souligner : leurs animations faciales sont complètement foirées. Half-Life en 2004 faisait déjà beaucoup mieux, et on se retrouve parfois pantois tant la tronche des protagonistes est figée. Même Arielle Dombasle au saut du lit doit être plus expressive malgré les litres de botox qu’elle se fait injecter depuis un demi-siècle. Cela reste un détail, mais qui nuit tout de même à l’immersion dans les dialogues. L’animation des modèles 3D dans sa globalité est ratée elle aussi, les personnages se déplaçant comme des Sims plutôt que des êtres de chair et de sang. En bref, l’aspect purement technique est clairement en deçà des productions actuelles, même indépendantes. Il n’empêche que l’orientation road-trip fait mouche : on attend avec impatience notre prochaine destination, la première approche de la frontière est un moment plutôt inoubliable tant celle-ci nous est contée comme inaccessible et la sensation de voyager à travers Petria est bien présente. Les différentes musiques qui rythment l’aventure sont parfaitement dans le ton et représentent à elles-mêmes une réelle ode aux années 90. A noter qu’il est possible de collectionner 18 cassettes audio afin de pouvoir les passer à votre guise si vous trouvez un poste de radio, c’est un petit plus, même s’il n’est pas révolutionnaire, qui reste agréable.
Malgré les quelques baffes que j’ai pu lui mettre dans les deux premières parties du test, c’est un jeu que je recommande aux joueurs amateurs de jeux relaxants, d’aventure bien évidemment et qui aiment laisser quelquefois la souris de côté pour se laisser emporter par l’aspect contemplatif de certains plans. Pour les amateurs de difficulté pure, passez votre chemin vous êtes clairement au mauvais endroit. Je dirais la même chose aux joueurs qui aiment les scénarios tortueux, les personnages hauts en couleurs et les univers complexes. Le jeu aborde des sujets sérieux, sous un angle plutôt naïf, ce qui en soit peut représenter un défaut autant qu’un point positif. Digixart montre encore son amour pour les jeux narratifs, parfois de manière maladroite, mais la passion pour le genre se ressent clairement une fois lancé dans la partie. On se laisse aisément porté par la narration, malgré son côté simpliste, portée très efficacement par un univers sonore solide et un gameplay accessible et original. Une phrase de Jean Paul Sartre, dans son roman La nausée illustrerait parfaitement mon ressenti à propos de Road 96 : « L’aventure : un événement qui sort de l’ordinaire, sans forcément être extraordinaire. ».
Il ne faut pas le nier, Road 96 demeure une aventure agréable à parcourir malgré son scénario simpliste et un aspect technique largement en retard. Le jeu reste malgré tout solide en termes de narration en ne noyant pas le joueur sous des dialogues interminables et des longueurs scénaristiques indésirables. L’atmosphère très 90’s est une franche réussite et on se laisse volontiers porté par ce road-trip assez original dans son déroulement, bien que les mini-jeux intégrés à celui-ci ne soient pas particulièrement passionnants. L’aspect procédural est quant à lui partiellement raté et ne donne pas spécialement envie de relancer une partie une fois le jeu terminé. Le jeu pondu par Digixart ne révolutionnera pas le genre mais atteint en partie son but : vivre une aventure singulière ponctuée de moments contemplatifs, parfois insolites dans un univers dystopique et répressif.
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Scénario | 50 % |
Un scénario plutôt prenant, malgré un côté caricatural et enfantin dans l’écriture des personnages et du déroulé scénaristique dans sa globalité. L’univers dystopique dépeint ici est en revanche trop léger pour que l’on puisse vraiment se sentir pleinement investi dans l’histoire. Pour un jeu narratif, c’est problématique. |
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Graphisme | 74 % |
Une direction artistique solide aux couleurs chamarrées et à l’ambiance apaisante. Parcourir les différents environnements de Petria se fait avec plaisir si l’on ne regarde pas trop l’aspect purement technique : textures datées et animations à la ramasse principalement. Le tout reste correct pour que l’on s’immerge correctement dans l’aventure. |
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Jouabilité | 60 % |
Rien de bien révolutionnaire à se mettre sous la dent, si ce n’est le fait de jouer plusieurs personnages au cours de la même partie. Le jeu repose sur des scénettes où il est possible d’interagir avec des personnages ainsi que de participer à quelques mini-jeux pas franchement folichons. Il faut plutôt compter sur l’aspect contemplatif pour se satisfaire ainsi que sur le découpage en scénettes qui demeure plutôt original par rapport à la concurrence. Pas de lourdeurs à signaler, si ce n’est qu’une gestion de la fatigue et de l’argent qui restent anecdotiques. |
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Multijoueur | 0 % |
∅ |
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Bande son | 89 % |
Une franche réussite de ce côté-là, les 18 morceaux qui vous accompagneront tout au long de l’aventure sont un régal pour les oreilles et collent parfaitement à l’ambiance 90’s visée par le jeu. Les doublages ne sont pas en reste et servent à merveille les personnages rencontrés pendant le périple. Les bruitages quant à eux, sont plutôt anecdotiques, mais ne nuisent en rien à l’ambiance sonore. |
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TOTAL 68.25 % |
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