Qu’entend-t-on aujourd’hui par jeu vidéo indépendant? Si c’est une notion que de nombreux joueurs connaissent, elle s’avère importante à questionner et à recontextualiser. Nous aborderons d’abord celle-ci par son historique et questionnerons le flou sémantique dans lequel elle baigne parfois. La deuxième partie de l’article entrera dans le détail de notre choix éditorial, orienté exclusivement sur la critique et la mise en lumière des productions indépendantes. Chez DSDJ, si nous avons fait le choix exclusif de porter notre attention sur les productions indépendantes, c’est que nous avons de bonnes raisons à cela. “Choisir c’était renoncer” écrivait André Gide; choisir c’est même discriminer. Nous, chez DSDJ, discriminerons volontiers. Premièrement, les AAA, qui, s’ils restent à la pointe en matière de technique pure, demeurent la plupart du temps sévèrement à la ramasse lorsqu’on cause innovation. Deuxièmement, les gros studios, qui ressemblent aujourd’hui pour beaucoup à des géants endormis sur un gros tas de fric, le bide à l’air et la main dans le calbute en attendant que leur matelas de billets s’épaississe. Explications.
Comme le rappelle Dan Pearce en 2021, journaliste chez IGN.com ; définir le jeu vidéo indépendant est un exercice délicat ; nous pouvons même affirmer qu’il n’existe pas réellement de consensus sur ce que l’on peut considérer comme étant un jeu vidéo indépendant. C’est un concept polysémique par excellence, qu’il faut donc utiliser subtilement. Il est très clair que ce terme est de nos jours utilisé à tout-va et que sa substance se perd graduellement à mesure que les productions qui s’en réclament se font de plus en plus nombreuses. Rappelons que l’industrie du jeu vidéo est la forme la plus importante de production culturelle, et que les revenus qui en découlaient en 2019 étaient de 130 milliards de dollars (soit quasiment l’équivalent du PIB du Koweït selon les données du FMI de 2018).
Au niveau mondial, c’est un tiers de la population totale qui s’estime aujourd’hui comme pratiquante régulière de jeu vidéo ; un gigantesque processus de démocratisation intergénérationnel s’est progressivement mis en route tout au long de la dernière décennie et a bouleversé les codes d’utilisation de ce loisir. Aujourd’hui, c’est 21% des joueurs américains qui ont plus de 50 ans. Sur le marché français, le jeu vidéo représentait 4,8 milliards d’euros en 2019 et c’est 49% de la population qui utilisaient celui-ci (soit 37,15 millions de personnes) avec un âge moyen de 40 ans (Jeandeau, 2019). Bien évidemment, le terme indépendant n’a pas attendu le jeu vidéo pour exister, celui-ci est issu au départ de la production musicale ou cinématographique (Dutton, 2022).
Nous pouvons considérer que le marché de production vidéoludique est à deux vitesses : les jeux vidéo dits AAA (ou triple A, terme de jargon utilisé pour définir les productions à gros budgets, comme l’on dirait d’une production de cinéma qu’elle est hollywoodienne même si elle n’est pas directement issue des studios d’Hollywood) qui sont créateurs de l’écrasante majorité des emplois directs et indirects de cette industrie. A l’opposé, il existe une myriade d’entreprises de tailles variées, les indies, considérées comme studios indépendants cars situés hors du cadre des AAA. Même si la distinction semble ici se faire très simplement, nous verrons plus loin que la réalité est toute autre. L’appellation indie est d’abord un concept médiatique et marketing, mais il est important de garder en tête que ce n’est pas un qualificatif monolithique puisque les œuvres produites par ces studios sont extrêmement diversifiées. Beaucoup d’acteurs caractérisent ce mouvement indépendant comme un véritable point de départ de la croissance exponentielle du nombre de jeux vidéo disponibles sur le marché. Une certaine forme de renaissance que nous pouvons situer au moment de la sortie du jeu Braid en 2008, jeu de plateforme édité sur Xbox 360, acclamé par la critique de l’époque pour son game design très inspiré et ses graphismes originaux. Celui-ci, créé par le designer indépendant Jonathan Blow, rencontre un succès absolument colossal et propulse les indies sous les yeux du grand public. Cet événement agit dès lors comme un véritable point de bascule et devient un facteur de motivation pour les milliers d’autres créateurs indépendants qui restaient dans l’ombre des gros poissons de l’industrie vidéoludique. Bien que le concept de jeu vidéo indépendant existait depuis longtemps ; au XXème siècle, les créateurs pionniers du genre avec des jeux comme OXO (le premier jeu vidéo datant de 1952) Spaceware ou encore Tennis for Two, ne pouvaient être considérés comme indépendants de l’industrie puisque celle-ci n’existait pas encore ; les termes indé ou indies n’ont réellement émergé qu’au XXIème siècle. La mise en valeur médiatique de ces productions n’a été que très rare avant le triomphe de Jonathan Blow et sa pépite, Braid (Jeandeau, 2019).
C’est aux alentours de 2015 que le marché des indies explose littéralement, grandement facilité par la mise à disposition d’outils de création (Un bon exemple à prendre serait celui du moteur de jeu Unity, proposant une licence gratuite et basée sur le langage de programmation C#) de plus en plus nombreux. Ce phénomène, qui sera baptisé par le néologisme indiepocalypse, mène très rapidement le marché à quasi-saturation avec une offre excédentaire de jeux vidéo indépendants ; on estime en mars 2016 que celui-ci représente au moins 1 milliard par an seulement via la plateforme de distribution Steam. Pendant cette période, environ 1 000 nouveaux jeux seront publiés uniquement via ce service. Le graphique ci-dessous, issu du site Steam Spy, représente bien cette montée en puissance. Parallèlement, le nombre de projets de jeux vidéo proposés sur Kickstarter par le modèle du financement participatif est multiplié par six entre 2012 et 2015. (Suvilay, 2018)
Après ce bref historique, nous pousserons plus loin l’analyse du statut d’indépendance lorsqu’il est question de jeu vidéo dans la partie suivante de l’article. C’est donc ici que le concept révèle toute sa complexité, qu’il faudra décortiquer pour en saisir mieux les enjeux.
Il est admis aujourd’hui que le champ de l’indépendance peut se subdiviser en trois sous-types différents : l’indépendance financière (établie par le développeur et en lien avec la relation avec ses investisseurs), l’indépendance créative (ce qui concerne le lien entre le développeur et le public-cible) et l’indépendance de publication (la relation entre le développeur et l’éditeur). Ce sont justement ces trois sous-types qui amènent une confusion autour du terme d’indépendance : ils ne sont majoritairement pas différenciés par le public visé. La distinction se relève complexe à appréhender, et il est vrai que certains événements marquants de l’industrie vidéoludique maintiennent ce flou conceptuel. Cette section de l’analyse est en partie basée sur un article de Garda M. B. et de Grabarczyk P., paru en 2020 : « Is every Indie Game Independant ? Toward the concept of Independant Game ».
Un exemple criant est celui de Yoan Fanise, directeur de création de Valiant Hearts : The Great War, paru en 2014 chez le studio Ubisoft Montpellier, qui usa du terme « indie-like » ou « fake indie » pour décrire son jeu. D’autres jeux ont provoqué la controverse plus tard par l’utilisation des expressions « AAA indies » ou « AAA indépendants ». A la base, ces termes furent introduits pour décrire des projets de jeux à grande échelle ; à comprendre, édités par des grandes maisons ; situés entre le spectre mainstream et le développement indépendant. Une belle preuve que le terme indie prend place dans le discours populaire comme un mot vague par excellence, et se retrouve même avec le rôle d’une étiquette marketing pour promouvoir une certaine originalité de création d’un projet donné. Il est possible de comparer cela avec un exemple bien de chez nous : la vente de fromage en grande distribution, dont certains se parent d’emballage fleurant bon la campagne et la production locale (identité visuelle rappelant la campagne, photographie des producteurs de lait, drapeau français etc.), tandis que le fromage en question est pasteurisé, issu de l’élevage intensif et tout droit sorti d’une usine qui en produit des millions par an. Après cet exemple, il est temps de revenir au sujet principal : les trois types d’indépendances.
Premièrement, l’indépendance financière. Un jeu est considéré comme indépendant financièrement si celui-ci a été payé par les développeurs eux-mêmes ou encore par le biais du financement participatif. Cependant, la différence entre l’origine des investissements peut apparaître sous certains aspects comme négligeable dans le sens où n’importe quel transfert de moyen de production entre un acteur x (les investisseurs) et un acteur y (les développeurs) créée de toutes les manières une dépendance. La pérennité d’un développeur dépend au choix : d’un tiers, ou alors de sa capacité à s’auto-financer. Si la présence d’un investisseur extérieur pour la production d’une œuvre est une condition sine qua none pour que le projet aboutisse, le seul aspect intéressant à prendre en compte est si cet investisseur-là aura un impact sur le résultat final du jeu.
Un exemple parlant est celui du jeu Sable, un jeu d’exploration en monde ouvert à l’esthétique rappelant l’univers graphique de Moebius, paru en 2021. Celui-ci est développé par un studio indépendant, Shedworks, mais édité par Raw Fury ; un éditeur suédois de jeu vidéo fondé par un ancien producteur de la série des Battlefield, ; spécialisé dans la publication de productions indépendantes. Celle-ci se présente comme un UnPublisher, c’est-à-dire une structure qui vise au soutien des développeurs sans avoir à donner un avis quelconque sur le résultat final. Même si le terme « soutien », employé par la société n’est pas clairement explicité, il est possible d’imaginer que ce soutien puisse être matériel (prêt de matériel, de logiciels ou de bureaux) ou pourquoi pas un appui en expertise juridique. Dans un cas comme celui de Sable, même si le développeur et l’éditeur sont à différencier, nous le considérerons comme indépendant chez DSDJ, en raison de la liberté donnée au développeur dans l’exécution de son projet. Ce qui nous amène à nous attarder sur le deuxième type d’indépendance, l’indépendance créative.
Si le développeur est libre de ses choix, qu’il peut innover tant dans son approche esthétique de sa production que dans celle du game design sans avoir à subir l’influence d’un tiers. Cependant, cette liberté de création n’implique pas nécessairement que l’innovation pure soit au centre du projet. Une belle illustration de cet état de fait serait le jeu Grim Dawn, paru en 2016, développé et édité par les américains de chez Crate Entertainment. Ce Hack’n slash, bien que pourvu d’une esthétique et d’un univers originaux, d’un système de roleplay efficace et de choix de game design judicieux, n’a en rien réinventé le genre duquel il fait partie et reprend parfaitement les codes mis en place par les ténors qui le précédaient comme Diablo II (2000) ou Sacred (2004). Il est à l’équilibre parfait entre l’innovation et la reprise de ce qui se faisait déjà très bien auparavant. Une autre manière de définir les contours de l’indépendance créative serait de déterminer la proximité entre le profil-type du public visé par un jeu donné et le profil d’un développeur. Autrement dit, que le développeur ait les mêmes références et goûts que les potentiels acheteurs, qu’il puisse créer un jeu à son image, en quelque sorte le jeu auquel il aurait aimé jouer en étant plus jeune.
Un très bel exemple est celui d’Éric Barone, connu sous le nom de ConcernedApe, qui a développé et édité entièrement seul Stardew Valley, paru en 2016. Lui-même passionné depuis très jeune par la licence de jeu japonaise Harvest Moon créée par Yasuhiro Wada, il s’était lancé seul dans le projet de sortir un jeu inspiré de celle-ci en espérant en vendre un jour 10 000 copies. Quatre ans plus tard, le jeu est un succès faramineux et se vend comme des petits pains sur Steam. En 2022, celui-ci a dépassé les 15 millions de copies vendues. Il va sans dire que tous les développeurs ne connaissent pas le même succès, et la poursuite du dream game d’un développeur peut mener à des situations fort peu engageantes, comme celle de Ian Phoenix et de son projet chaotique The Wayward Realms. Un autre exemple très parlant est celui de Super Meat Boy, le célèbre jeu de plateforme paru en 2010, développé et créé par Team Meat. Edmund McMillen et Tommy Refenes qui ont fondé ce studio ont déclaré qu’ils voulaient développer un jeu auquel ils auraient aimé jouer eux-mêmes.
Il est toutefois possible de nuancer ces différents constats établis à propos de l’indépendance créative ; en effet comme il est possible de le voir dans le cas des campagnes de financement participatif, l’investisseur principal du jeu -le public visé- a parfois son mot à dire sur le développement du produit. Dans ce cas-là, peut-on réellement parler d’indépendance créative et financière ? Il existe donc une infinité de nuances qui apparaissent en filigrane à mesure que l’on développe ces concepts, et malgré les bornes qu’il est possible de poser à ces réflexions, l’indépendance réelle d’un jeu reste parfois difficile à considérer comme réelle.
Le troisième type d’indépendance à passer en revue est celui de l’indépendance de publication. Un jeu peut être considéré comme indépendant dès lors que l’éditeur et le développeur sont une seule et même entité. Dans de nombreux cas, l’indépendance financière et de publication peuvent se chevaucher, car l’investisseur externe est peut être également l’éditeur. Néanmoins, tout au long de l’histoire des jeux vidéo indépendants, les jeux autopubliés étaient plutôt fréquents, notamment à l’époque du shareware (pratique de distribution consistant à mettre à la disposition aux utilisateurs un logiciel ou un jeu avec des fonctionnalités limitées dans l’usage ou dans le temps) comme les très célèbres Wolfenstein 3D ou Duke Nukem. De nos jours, l’indépendance de publication revêt une importance d’autant plus centrale que la croissance récente du nombre de sorties de jeux vidéo indépendants peut être reliée à l’augmentation sans précédent du phénomène d’autopublication. Ce dernier a été catalysé principalement par deux micro-révolutions :
Le tableau ci-dessous résume très bien les différents agencements existants pour définir le statut d’indépendance d’un jeu donné. Même cette matrice semble proposer une distinction nette ; un jeu se doit d’appartenir à au moins un des trois types pour être indépendant ; il permet au contraire de brosser un tableau plus nuancé de la situation en donnant la possibilité d’analyser l’indépendance d’un jeu en prenant chaque critère à part. (Garda, Grabarczyk)
Indépendance financière | Indépendance créative | Indépendance de publication | Exemple |
Non | Non | Non | Assassin’s Creed : Unity (Ubisoft Montreal, 2014) |
Non | Non | Oui | Broken Age : Act 1 (Double Fine, 2014) |
Non | Oui | Non | MGS Series (Konami) |
Non | Oui | Oui | Antichamber (Demruth, 2013) |
Oui | Non | Non | Robbo (Pelc, 1989) |
Oui | Non | Oui | Angry Birds Rio (Rovio, 2011) |
Oui | Oui | Non | Braid (Number None, 2008) |
Oui | Oui | Oui | Super Meat Boy (Team Meat, 2010) |
En prenant en considération ces divers postulats, DSDJ concentrera principalement ses efforts de rédaction de tests et de revues sur les productions qui bénéficient à la fois de l’indépendance créative et financière. Il arrivera certainement dans le futur des articles qui porteront sur des jeux édités par une société tierce, mais nous prendrons toujours soin de vérifier de quel type d’éditeur il s’agira. Il ne sera jamais question de se pencher sur des réalisations éditées par des filiales « indépendantes » de gros studios, comme par exemple ceux placés sous le label EA Originals du géant américain. Ce choix est partial et la partie de l’article qui suit illustrera nos revendications à ce propos.
Que cela soit bien clair : DSDJ ne nourrit aucune animosité gratuite envers les productions AAA. Nous avons bien évidemment largement écumé les rives des plaisirs offerts par les jeux à gros budgets ; nous continuons et continuerons à prendre part à ces divertissements. Nos attentes vis-à-vis du jeu vidéo sont désormais différentes, nos pratiques reliées à celui-ci ont mûri et nous envisageons ce loisir d’une manière autre qu’il y a 15 ans. Après cette réflexion sur le concept de l’indépendance, il est temps pour nous de vous justifier notre positionnement éditorial. Que cela soit bien clair : DSDJ ne nourrit aucune animosité gratuite envers les productions AAA. Nous avons bien évidemment largement écumé les rives des plaisirs offerts par les jeux à gros budgets ; nous continuons et continuerons à prendre part à ces divertissements. Nos attentes vis-à-vis du jeu vidéo sont désormais différentes, nos pratiques reliées à celui-ci ont mûri et nous envisageons ce loisir d’une manière autre qu’il y a 15 ans.
Même si nos deux parcours de joueurs diffèrent grandement ; tout autant que nos profils ; nous nous retrouvons aujourd’hui avec Mortuus à partager de nombreuses opinions concernant les évolutions récentes de l’industrie vidéoludique. Nos attraits convergent également envers de nombreux genres de jeux, types de gameplay et atmosphères recherchées lorsque nous mettons en route nos PC pour de longues sessions d’amusement, nos visages simplement éclairés par LED de nos écrans. Nous sommes passés comme tous les joueurs par les jeux à gros budgets et ils ont participé à la construction de nos goûts actuels.
Du côté de Mortuus, ses premiers amours furent du côté des jeux nippons comme l’indique justement sa présentation. Il fit ses premières armes dans ses jeunes années sur la manette abrupte de la Super Nintendo, puis sur celle encore plus ardue de la Sega. Il a même connu la douleur de la sombre manette de la Megadrive pour parfaire encore plus ses compétences de petit jeunot débutant dans le domaine. Il n’y a pas un seul jeu de la saga des Mario qui ne lui soit passé entre les mains, même les plus mauvais. Secret of Mana et Legend of Mana furent également ses jeux de chevet. Bien plus tard, en 2006, apparut dans son salon la PS3, accompagnée de la série des Assassins’s Creed et des (trop) connus Call of Duty. Dans ce dernier cas, son intérêt se portait surtout sur le foudroyage des hordes de zombies avec une bande de potes en local entre deux canettes de bière à 8 °C, mais beaucoup moins sur la campagne solo. Son âme de rôliste s’est d’abord éveillée au contact de la série des Final Fantasy, puis bien plus tard à celui des The Witcher, même s’il n’a même pas passé la barre des 20 heures de jeu sur le dernier de la franchise ; faute de goût ou faute de temps ?
Son premier contact avec les jeux sur PC se fit par les jeux flash et plus particulièrement via le site newgrounds.com, qu’il explora longtemps avec l’ordinateur familial. L’année 2007 fut celle de l’acquisition de son tout premier PC ; s’en suivirent de nombreux coups de foudre tel que Minecraft, puis Terraria et un peu plus tard Faster Than Light et la série des Souls. Mortuus chuta ensuite violemment dans le chaudron des jeux compétitifs. Il perdit littéralement des hectolitres de sueurs sur League of Legends (personne n’est parfait), PUBG et Overwatch. Puis il usa de nombreuses souris sur le mode multijoueur de Warcraft III, et beaucoup de manettes dans les arènes de Rocket League, un jeu qui d’ailleurs continue à lui faire perdre un temps monstrueux mais qui lui permet au moins d’afficher le grade Champion sur son CV en cas d’entretien d’embauche. Aujourd’hui, il persiste à pratiquer dès qu’il peut les jeux compétitifs même si son cœur s’est ouvert à deux autres styles bien particuliers : les rogue-like (Binding of Isaac, Don’t Starve) et les jeux de gestion punitifs, dont un en particulier qui représente son nirvana vidéoludique : Rimworld et l’ensemble de ses DLC. Bien que sa bibliothèque Steam soit composée quasiment de trois quarts de jeux vidéo indépendants, cela ne l’empêche pas de continuer à tâter du bon gros AAA de qualité comme les récents God of War, Elden Ring ou Resident Evil : Village. En bref, Mortuus a touché à beaucoup de jeux, dans une espèce de transe boulimique qui le fait consommer à foison bon nombre de genres différents pour au final revenir aujourd’hui aux aspects hardcore du jeu vidéo dès qu’il le peut. Je laisserai Albert Brie conclure pour moi, lui qui écrivait en 1989 dans son livre Le Retour du silencieux, une phrase pouvant décrire parfaitement le profil de joueur de Mortuus : « Le masochisme est l’orgueil de l’humilité. »
Dissertons un peu sur mon cas désormais. A la différence de Mortuus, mon premier contact avec un jeu vidéo a été par le PC ; ce n’était évidemment pas le mien mais celui d’un ami de la famille qui s’esquintait les mains sur un vieux clavier gris en jouant à European Air War, une simulation de combat aérien qui a depuis été oubliée par tous. J’eu donc la chance de pouvoir poser mes mains sur ce jeu, du haut de mes 8 ans. Je n’avais pas encore compris ce que cette première entrevue virtuelle avec un jeu allait provoquer quelques années après dans mon petit cerveau. Le vieux Macintosh familial qui trônait dans le salon fut aussi l’objet d’attention de mon père à l’époque, véritable tryharder avant l’heure sur Lode Runner 1.0, un jeu de plateforme sorti en 1984, avec lequel j’essayais péniblement de m’amuser. Mais la difficulté atroce du soft eut raison de ma patience et j’ai donc passé plus de temps à toiser mon paternel s’escrimer à aller au bout de l’aventure. Mes premiers vrais jeux sur PC furent éducatifs : La Famille Cosmic, Adibou, et J’ai trouvé : Le Manoir Hanté. Ceux-ci toujours sur le PC familial, l’antique Macintosh ayant été revendu depuis belle lurette.
Nous avons eu, mon frère et moi, notre première console en 2002, la Game Boy Advance sur laquelle nous avons pu nous essayer à divers jeux, plutôt mauvais pour la plupart, il faut bien l’avouer : Driv3r (considéré comme un des pires jeux de la console à l’époque), Roland Garros (tout juste passable) et d’autres softs qui ont échappé à ma mémoire. Mais pas un seul jeu Nintendo, oui c’est apparemment possible. Voilà une vraie faute de goût, vous en conviendrez ! S’en suivra la Game Boy Advance SP, et son rétro-éclairage intégré qui nous permettait de jouer la nuit en cachette. Plusieurs années après, un étrange cube violet fit son apparition devant notre télé, la magistrale Gamecube. Ce fut le début d’une longue série de coups de cœurs pour moi : Zelda : The Wind Waker, Metroid Prime, Super Smash Bros : Melee, FIFA 05, NFS : Most Wanted ou encore Captain Viewtiful. Pour autant, je ne délaissais pas le PC pour autant : Quelques centaines d’heures sur Diablo II à transpirer jusqu’au mode Enfer, des longues campagnes de Warcraft III et surtout un jeu qui restera cher à mon cœur : The Elder Scrolls III : Morrowind qui mettait en surchauffe mon tout premier PC d’adolescent avec son Dual Core et son GPU doté de 128 Mo partagés. Oui, oui partagés. Comme tout prépubère du début des années 2000 ; j’ai aussi eu ma période FPS avec Half Life, Doom ou encore la série des Medal of Honor. Bref, un parcours plutôt classique. Ma première vraie claque indie fut, de mémoire, celle assénée par Minecraft ; l’ouverture juste après cela de mon compte Steam fut synonyme de nombreux achats de jeux indépendants répartis sur plusieurs années. Mes goûts sont désormais plutôt variés : de Rimworld à Planet Zoo, en passant par The Long Dark, ou encore Mordhau, je ne rechigne jamais à des expériences purement contemplatives telles que celles proposées par Lost Ember ou des jeux carrément stupides comme Goat Simulator. A l’instar de Mortuus, ma bibliothèque Steam est composée pour sa grande majorité de jeux indépendants, mais je ne rechigne pas à certaines grosses licences que je considérerais toujours comme des chefs-d’œuvre comme The WItcher ou la saga des Dishonored, même si je reste un bien piètre joueur dans le cas de cette dernière. Bref, vous l’aurez compris, nos deux profils diffèrent en de nombreux points, et il n’est pas question ici de faire une liste exhaustive de chaque jeu auquel nous aurions touché, ce serait pénible pour vous comme pour moi. Comme je l’écrivais plus haut, Mortuus et moi-même ne pratiquons pas le jeu vidéo de la même façon, mais nos conceptions de ce média se rejoignent quasiment en tous points. Nous nous sommes lassés de la plupart des AAA, fatigués de voir que certains des plus gros acteurs de ce milieu ont perdu de vue ce qui faisait vibrer les joueurs de la première heure ; nous sommes exaspérés de prendre conscience que bon nombre de studios sapent leurs meilleures licences par simple appât du gain. Nous pestons de voir se développer à tout-va depuis 10 ans les microtransactions, les DLC hors de prix, les jeux à gros budget tout simplement injouables sans leur patch day one de 25 Go ; nous pleurons du sel lorsqu’il est question d’acheter un jeu neuf à 70 euros qui sera de toute manière suivi de deux Season Pass à 30 euros chacun. Pour être concis, nous sommes peut-être devenus des vieux cons. De là à dire que c’était mieux avant ? Certainement pas.
En une dizaine d’années, nos bibliothèques Steam se sont largement étoffées et demeurent désormais composées de jeux vidéo indépendants. Ceci s’explique simplement : nous sommes admiratifs de la prise de risque en matière d’innovation dont beaucoup de studios indépendants sont capables de faire preuve.
Que cette prise de risque soit centrée sur les thèmes abordés par des productions comme Hydroneer, où le but est de gérer une exploitation de métaux précieux à la première personne en partant de rien. Je pourrais citer également This War of Mine, qui aborde de manière très crue le thème de la guerre vécue par les civils durant le siège de Sarajevo entre 1992 et 1996. Dans un tout autre genre, The Hunter : Call of the Wild propose au joueur de se mettre dans la peau d’un chasseur à même d’arpenter d’immenses cartes aux quatre coins de la planète. Les thématiques évoquées aujourd’hui auxquelles le joueur peut être confronté se comptent par milliers grâce au courage des équipes de développeurs, qui osent simplement là où beaucoup de gros studios abandonnent.
Outre les innovations thématiques, celles qui concernent le gameplay pur sont bien évidemment à mettre à l’honneur. Rimworld (oui, encore lui) est aujourd’hui le jeu de gestion/simulation de colonies le plus complet jamais créé tant Ludeon Studio a poussé son jeu à maturité en ne négligeant aucun aspect primordial de l’expérience de jeu. Quant à Gang Beast, il fut simplement le premier jeu à proposer des combats JcJ basés sur une physique presque aléatoire qui donnait à n’importe quel joueur une chance de gagner. Ceci le place à l’opposé total de grosses licences comme Mortal Kombat ou Tekken, qui demandaient de solides compétences à la manette pour sortir vainqueur d’une joute. Le fantastique Mount and Blade II : Bannerlord, qui vient tout juste de sortir de l’accès anticipé à l’heure ou j’écris cet article, demeure le meilleur sandbox médiéval mélangeant avec brio stratégie, gestion économique et batailles de grande envergure en temps réel.
En termes de game design, c’est très simple : des centaines de jeux indépendants ont asséné une baffe monumentale aux AAA. Pendant qu’Ubisoft ose nous ressortir du réchauffé sans aucune vergogne sur ses deux licences phares que sont Assassin’s Creed et Far Cry, des pépites comme We Were Here Together ou Terraria représentaient une petite révolution chacun dans leur genre propre. Que dire encore de Darkest Dungeon qui a remis au centre de l’expérience RPG/rogue-like, l’importance du mental des personnages jouables ? Ou encore de la série des The Banner Saga, proposant un cocktail quasiment parfait entre tactical-RPG exigeant, jeu contemplatif et esthétique fortement inspirée des anciennes productions Disney. Tandis que de nombreux gros studios comatent profondément sur leurs lauriers en produisant à la chaîne certaines licences sans s’aventurer trop loin dans l’innovation de peur de perdre leurs acheteurs (qui a dit vaches à lait ?), de nombreux studios indépendants suent sang et eau pour proposer des expériences vidéoludiques jamais vues auparavant. Il serait possible de dérouler la liste d’innovations d’avantage, que l’on cause gameplay, bande-son ou encore univers graphique, les exemples sont légion. S’il est vrai que de nombreux AAA ont posé les bases du jeu vidéo, ce sont les indés qui ont pris le relais pour ériger des monuments par-dessus. Notre constat est désormais très simple : nous avons passé quelques milliers d’heures ces dernières années rivés à nos écrans et la grande majorité de nos coups de foudre récents ont été pour des jeux indépendants. Nous nous sommes délectés bien plus intensément sur ces derniers, que sur des jeux à gros budget et sommes désormais en constante recherche des pépites que nous réservent encore les petits studios. Voilà la première raison qui a guidé le projet DSDJ : discriminer les AAA volontairement, prendre le parti des jeux et des studios indépendants. Les retourner, les critiquer constructivement, les adorer ou parfois les détester, là se trouve notre credo.
La deuxième raison, et non des moindres, c’est que la presse grand public centrée sur ce média s’est aujourd’hui effondrée sur elle-même tant elle se retrouve incapable de proposer de vraies critiques constructives et indépendantes. Selon le classement de l’AFJV (Agence Française pour le Jeu Vidéo) datant de mai 2021, les trois premiers sites dédiés aux actualités du jeu vidéo en France générant le plus de trafic sont : jeuxvideo.com (environ 50 millions de visites par mois) breakflip.com (deux millions de visites par mois) et gamewave.fr (un peu moins de deux millions de visites mensuelles). Je vous laisse dans un premier temps admirer l’écart suspect entre le mastodonte qui trône au sommet du classement et ses deux « concurrents ». Jeuxvidéo.com, abrégé en JV depuis 2021 est présent sur la toile depuis 1997 et a pendant longtemps été LA référence du web média spécialisé en la matière, proposant des productions écrites de qualité et du contenu pertinent. Le site fut cédé ensuite à 80 % à Gameloft en 2000, société d’édition de jeu vidéo fondée par Michel Guillemot, lui-même co-fondateur de la société Ubisoft. Ça commence doucement à puer du fiak là non ? Surtout quand que l’on sait que Gameloft appartient entièrement au groupe Vivendi, dirigé par Vincent Bolloré. Plus tard, en 2014, le site est racheté par un rapace encore plus costaud : Webedia, également propriétaire d’Allociné, Purepeople, ou 750g. On commence doucement à comprendre l’écart de trafic entre JV.com et les autres acteurs du milieu.
C’est un secret de polichinelle que de savoir que JV.com vit grassement, et ce principale grâce aux articles sponsorisés en tous genres, qu’il passe sous la table des gros éditeurs régulièrement pour toucher de la bonne grosse caillasse en échange de laquelle les « journalistes » distribuent des notes généreuses à des jeux médiocres. Il suffit de voir l’écart entre les notes de la rédaction du site et celles données par les utilisateurs pour prendre conscience de l’absurdité de la situation. En plus de cela, le niveau rédactionnel des équipes dépasse très rarement celui d’un adolescent de quinze ans pleurant sur une pauvre dissertation. Ceci, en mettant évidemment de côté la majeure partie du temps les productions indépendantes ! Autrefois, il était possible de savourer avec plaisir le contenu du site comme on le ferait d’un bon plat de brasserie ; aujourd’hui, il n’est possible que de vomir sur son clavier dès l’ouverture de la page d’accueil, comme on le ferait après un KFC bien huileux. Même si breakflip.com et gamewave.fr ne sont pas aussi indigestes, car plus ou moins indépendants… Ah ? Et bien non, gamewave est soutenu financièrement par Origin, UPlay et Steam. Que reste-t-il à se mettre sous la dent ? Gamekult relève encore bien le niveau concernant la qualité de la critique mais il suffit de fouiller un peu pour trouver que le site appartient à une obscure société de holding anglaise, Unify. Ben voyons! Société de holding très récemment rachetée par le groupe TF1 en novembre 2022, ce qui a mené l’entièreté de la rédaction à quitter le navire. Pour le coup, tirons-leur notre chapeau Le seul qui aurait encore grâce à mes yeux reste le site de Canard PC, lancé grâce à un Kickstarter en 2016 et qui fonctionne avec un système d’abonnement, lui permettant une totale indépendance de rédaction.Malgré cela, Mortuus et moi-même restons sur notre faim, puisqu’aujourd’hui, il n’existe pas un seul média indépendant français spécialisé sur les indies qui convienne à notre goût. Quand j’écris « média », je pense évidemment à de la production uniquement écrite, car oui, des chaînes YouTube spécialisées existent et fonctionnent, des Twitcheurs également en on fait leur gagne-pain. Nous ne sommes pas là pour cracher sur la réussite du média vidéo, mais regrettons tout de même fortement la disparition du vrai esprit de la critique écrite. L’incorrection de la critique, l’arrière-goût salé provoqué par la lecture d’un article soigné qui distribue des gifles soigneusement à ceux qui les méritent. Ou à l’inverse la saveur suave d’une chronique savamment rédigée venant récompenser un fait d’actualité, un jeu ou une personne. DSDJ est justement là pour faire renaître cet esprit disparu dans les limbes de l’hégémonie Twitchesque et des affres de l’instantanéité offertes par Youtube. Ne nous remerciez pas, ce n’est que le début.