
Posté le 15 avril 2023.
Voici la suite de notre petite entrevue avec Bevel bakery: on parle des nominations du studio et du futur de Sclash. Si vous avez raté la première partie, c'est par ici que ça se passe!
Justement, comment avez-vous réussi à toucher votre premier public ?
Linagur : D’abord il y a eu les étudiants tout simplement, ceux de notre école puis des autres écoles autour. Plus tard, les personnes présentes en convention et les personnes du milieu du jeu vidéo qui ont partagé notre projet. Les conventions et les vidéos nous ont ramené pas mal de monde, les réseaux sociaux également. Étonnamment ça nous a ramené une fanbase au Japon, avec des gros journaux locaux qui ont fait des articles sur nous. On n’a pas encore touché tout le public qu’on voulait, mais c’est comme ça que ça a commencé, et il faut dire que Steam a beaucoup aidé dans tout ça.
Kaldrin : La difficulté quand tu es un petit studio qui démarre, c’est que tu n’as pas de puissance marketing, tu n’as pas de moyens ni de connaissances. Tu prends juste les opportunités qui te sont données, même si ce n’est pas ton cœur de cible tu prends quand même. Notre jeu a été cité sur des chaînes YouTube spécialisées en jeux de combat, ce qui nous a aussi ramené du public. A partir du moment où on a commencé à travailler avec Just for Games, cela nous a clairement donné un petit boost. Grâce à Abinding Bridge on a réussi également à avoir une place au AG French Direct (ndlr : événement équivalent à l’E3 qui met en lumière les jeux français et francophones), donc on a fait un trailer et ça a fait connaître Sclash. Le Steam Next Fest nous a également mis en avant ; c’est une semaine chargée où tu dois venir poster des trucs au bon moment pour bien toucher ton audience, tu organises un event, tu crées la wish list etc. On s’y est collés sérieusement avec Just for Games en faisant du stream h/24 et ça nous a ramené un max de monde. Plus récemment, quand on a annoncé les playtests en beta, on a eu une vague de joueurs qui est arrivé sur notre Discord et c’était plutôt impressionnant.
Vous avez été récompensés pour Sclash : le prix des publics au StunFest 2022 et vous faites partie du Top 10 du GDWC 2022. Comment avez-vous vécu ces différentes nominations ? Plutôt de manière stressante car les attentes sont plus importantes ensuite ou uniquement de manière positive ?
Linagur : Je dirai plutôt de manière positive, parce que ça nous fait du bien de voir qu’il y a de l’engouement sur le jeu pour lequel on travaille et qu’on n’a pas fait ça juste dans notre coin. Ça nous encourage forcément à aller plus loin. Pour l’instant les gens sont quand même assez cools avec nous donc on n’a pas ressenti vraiment de pression. Cette communauté de joueurs a plutôt tendance à apprécier que l’on expérimente, que l’on tente de faire quelque chose de frais. Il y a beaucoup d’encouragements de leur part.
Kaldrin : C’est plutôt stylé de tenir le trophée du StunFest dans nos mains, en plus il est beau ! Pour le GDWC, c’est moins impactant parce qu’au final c’est un événement pas très connu. C’est sympa, il y a beaucoup de jeux qui y participent mais je n’ai pas l’impression que ça ait eu une quelconque répercussion. On le prend quand même, ça reste agréable à recevoir.
Quels sont les gros ajustements qu’il vous reste à faire avant la sortie définitive en 2023 ?
Kaldrin : Le mode en ligne reste à finir, Victor travaille dessus. Ensuite, c’est de l’ajustement : correction de bugs, s’assurer que tout marche et que le jeu est traduit dans toutes les langues qu’on veut, que le portage sur console marche aussi. Il y a quand même pas mal de trucs à vérifier sur ce côté-là. On va devoir aussi passer par une phase d’optimisation mais là je suis plutôt confiant là-dessus parce que Zerouno games (ndlr : studio de portage qui s’occupe de la version Switch du jeu) fait un bon taf sur la Switch. Le jeu est donc plus ou moins fini et sortira en 2023 ; et s’il ne sort pas en 2023 c’est que le portage sur consoles a pris du retard ou que les validations avec Nintendo prennent plus de temps que prévu.
Votre souhait est-il de suivre le jeu longtemps après sa sortie, updates régulières ou des saisons en multijoueur par exemple ?
Ruyuik : C’est un peu l’ambition qu’a Just for Games pour nous : faire des saisons avec du contenu saisonnier à sortir etc. Après je ne suis pas sûr que ce soit notre objectif à tous ici de poursuivre le jeu pendant des années encore derrière. Pourquoi pas éventuellement quelques petits DLC pour rajouter du contenu graphique, mais les saisons représentent beaucoup de boulot. On ne s’en rend pas compte mais Fortnite a mis une grosse pression sur le marché ; il faudrait sortir tous les trois mois un nouveau truc, toujours avoir de la nouveauté. C’est un peu compliqué pour nous. Surtout qu’on n’est pas à 100 % sur le jeu, moi j’ai un autre travail à côté par exemple, il n’y a que Bastien qui est peut-être à 95 % de son temps sur Sclash.
Kaldrin : Si le jeu marche très bien, je ne suis pas forcément contre l’idée de travailler avec les éditeurs pour rajouter des DLC par exemple. Je resterai là pour corriger les bugs après la sortie ; si les joueurs se plaignent il faut que je sois là pour réagir. Je n’ai pas forcément l’ambition de faire autre chose du jeu après ça. Même si on aime beaucoup Sclash, personnellement j’en ai marre, ça fait quatre ans qu’on bosse dessus ensemble et j’ai envie de passer à autre chose
Linagur : Disons qu’on y a réfléchi rapidement, et on a des idées pour des contenus de saison et du contenu graphique, et même d’un point de vue de l’histoire. Comme on a coupé beaucoup de choses, on a du contenu en réserve et si l’engouement des joueurs est là, pourquoi pas. Mais la priorité pour nous est de travailler sur des projets qui nous permettent de remplir nos assiettes ; même si on aime beaucoup Sclash, il faudra passer à un moment donné sur des projets plus lucratifs.
Quel est votre regard, en tant que jeunes développeurs, sur le marché du jeu vidéo actuel ?
Kaldrin : Le marché aujourd’hui pour moi est vraiment cool, parce qu’il y a une quantité infinie de jeux avec beaucoup de créativité et d’originalité sur la scène indé, et à tous niveaux. Ça peut être des petits jeux indés comme des gros, on peut dire qu’il y a vraiment de tout et les offres sont vraiment différentes si on compare à quelques années en arrière. Sur la scène AAA, tu as plein de jeux de qualité également mais c’est aussi là où la créativité peut être bridée. Les mêmes jeux ressortent en boucle sans prise de risques de la part des studios et c’est dommage puisqu’il y a pleins de gens extrêmement talentueux qui bossent sur ces projets. Ce n’est pas forcément des mauvais jeux, mais cet aspect répétitif est chiant, c’est franchement dommage. Ce n’est pas le cas de tous les AAA, certains restent originaux et tirent leur épingle du jeu mais c’est là où j’ai tout de même plus de réserve. Je me dis : « Allez hop ! Ah ouais encore un open world Ubisoft, à chaque E3 t’en as cinq et tu finis par en avoir marre. ». C’est des bons jeux objectivement, mais dans le contexte dans lequel ils sortent, on en a marre et cet effet de saturation vient aussi du fait que les studios doivent remplir les caisses de leurs investisseurs. Une autre réserve que j’ai est sur le game as service (ndlr : modèle commercial dans lequel les jeux vidéo sont vendus non pas comme des produits uniques, mais plutôt comme des services continus), qui même, s’il y a des concepts sympas qui en émergent, provoque un comportement de prédation monétaire de la part des studios. Là où c’est vraiment n’importe quoi, c’est sur les jeux mobiles qui est la poubelle des jeux vidéo. Ce côté malhonnête où on se sert des utilisateurs en les manipulant pour leur soutirer de l’argent me dérange vraiment. A part ça, globalement je pense qu’on vit dans une belle époque pour le jeu vidéo.
Linagur : Disons que le modèle game as service repose sur l’exploitation des mécaniques psychologiques des joueurs, et particulièrement sur leurs faiblesses. Moralement, c’est problématique et il y a des studios qui le savent très bien et qui usent de ces faiblesses pour garder leurs joueurs. Les entreprises qui savent qu’ils usent de ce modèle de manière immorale et qui vont de plus en plus loin dans la pratique le font sans que ça leur cause de soucis parce que leur but est de payer tous leurs employés en fin de mois. Le but d’une entreprise est aussi de grossir…
Kaldrin : C’est plutôt leurs actionnaires qu’ils veulent payer, pas leurs employés.
Linagur : Il y a eu une vague de fermeture de studios ces derniers temps qui peut faire peur à ceux restant, cela peut expliquer aussi ce phénomène. Pour avoir travaillé sur d’autres jeux, je peux l’affirmer : oui, l’indé c’est galère, ça rapporte rarement de l’argent et ça va aussi souvent avec le fait d’avoir des dettes. Sans forcément avoir la certitude que tu auras un public derrière pour soutenir le projet. D’un côté, je peux aussi comprendre la posture de certains gros studios, qui restent sur leurs acquis pour dégager de l’argent à partir de leurs licences et payer leurs 300 employés. Les grosses boîtes n’ont pas forcément le luxe de se permettre de prendre des risques, ce qui est possible en indé. Je ne vais pas non plus mentir aux gens : travailler en indé n’est pas forcément synonyme de réussite. Je connais beaucoup de gens admirés pour leur boulot mais leur travail ne porte pas toujours ses fruits parce qu’il n’attire pas assez de fans sur leurs projets et les ventes ne suivent pas derrière. C’est un marché saturé, et il est difficile aujourd’hui de sortir du lot tellement le contenu indépendant est important. Même si votre projet est bien, le facteur chance reste indéniable. J’encourage donc les gens à soutenir les jeux indé qui leur plaisent en les achetant parce que c’est d’abord le soutien financier qui donnera un souffle au jeu.
Ruyuik : Je vais être un peu plus court que mes camarades sur cette question. En ce moment le milieu de jeu vidéo est comme l’a dit Bastien très diversifié et hétérogène. Depuis tout à l’heure je suis en train de scroller sur le Game Pass pour voir les offres, et je vois à la fois des jeux qui se ressemblent et d’autres qui ne se ressemblent pas en même temps. On a ces derniers temps beaucoup de gros AAA qui se sont enchaînés : Hogwart : Legacy, Atomic Hearth ou encore Wo Long: Fallen Dynasty. Ce sont tous des jeux très qualitatifs et en même temps derrière il y a pleins de jeux indés qui passent, qui sont tout aussi bien mais qui vont faire moins de bruit. C’est clairement dommage que ce soit ces gros jeux qui prennent toute la place. D’autant plus que beaucoup de AAA se déguisent en jeux indé, en faisant croire au public qu’ils ont été faits par des petits studios mais c’est en fait tout l’inverse. C’est un regret que j’ai : que certains AAA viennent piquer les idées créatives des indés pour en faire des jeux meilleurs derrière. L’inverse existe aussi, avec des productions indépendantes qui sont tellement réussies qu’elles se hissent au niveau des AAA.
Si vous aviez quelques conseils à prodiguer à un développeur ou à une développeuse qui se lancerait aujourd’hui quels seraient-ils ?
Kaldrin : Je pense que vous serez d’accord avec moi tous les deux, mais mon premier conseil serait de vous dire : votre premier jeu ne sera pas votre jeu de rêve. Il faut que votre premier jeu soit un petit jeu les gars vraiment. A partir de là vous aurez déjà une bonne base d’expérience dans tous les domaines pour vous rendre compte ce que c’est vraiment de faire un jeu en indé. Ne vous lancez pas directement dans le projet de créer un studio pour faire un gros jeu, visez petit ! C’est dur de travailler sur un projet qui te plaît et qui sera aussi rentable. Tu vas te dire que c’est ce jeu-là que tu as envie de faire mais est-ce que c’est vraiment ce jeu auquel les gens ont envie de jouer ?
Ruyuik : Je rajouterai, dans une moindre mesure, faites des game jam, c’est important !
Linagur : Les game jam sont vraiment la preuve qu’en 48 h ou 72 h de travail, avec une petite équipe on peut quand même sortir un mini-jeu avec un petit aspect original qui le fera sortir du lot. Il est vraiment possible d’avoir une petite idée pour un jeu, mais il faut que cette idée ne demande pas énormément de ressources pour fonctionner. Dans ce sens-là, la jam est un très bon exercice puisqu’on arrive à prendre conscience de l’importance des différentes ressources qu’implique le développement d’un jeu vidéo.
DSDJ remercie infiniment Bevel bakery pour le temps qu'ils ont consacré à répondre à nos questions. Nous leur souhaitons le meilleur pour la sortie de Sclash, qu'on les couvre d'or et de gloire toussa toussa. Leur boulot le mérite amplement!
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